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L’exercice du droit d’accès à l’information

La note juridique de Maître Yann FAUCONNIER (mars 2024)

Avocat au Barreau de Clermont-Ferrand

14 bis Place Gaillard 63000 Clermont-Ferrand

fauconnieravocat@outlook.fr 


A/ De la procédure d’accès aux documents administratifs et aux informations environnementales 


Le droit commun d’accès aux documents administratifs[1] est régi par le Code des relations entre le public et l’administration, ci-après CRPA (art. L.300-1 et suivants CRPA). Les documents communicables sont listés par l’article L. 300-2 de ce code. Des limites à l’exercice de ce droit sont également prévues, certains documents n’étant pas communicables  (art. L. 311-4, L. 311-5, L. 311-6 CRPA). Une exception intéressante est toutefois prévue pour les contenus non communicables (au titre des articles L. 311-4 et L. 311-6), lorsque le document en question peut faire l’objet d'occultation ou de disjonction, la communication se faisant alors après occultation ou disjonction de ces mentions (art. L. 311-7 CRPA).


En matière environnementale, des dispositions spécifiques s’appliquent. Le droit d’accès s’élargit aux "informations relatives à l'environnement" (définies ici : art.  L. 124-2 du code de l’environnement). Il n’est donc plus question de documents existants, mais d’informations disponibles, à charge pour l’autorité si elle les détient, de les regrouper sous la forme d’un document pour en permettre la communication (CE, 11 juillet 2018, Union nationale de l’apiculture française, n° 412139). En revanche, et devant le juge administratif, la charge de la preuve que l’autorité publique détient de telles informations incombe aux requérants[2]. Également, toute personne qui en fait la demande peut se voir transmettre une information environnementale détenue, reçue ou établie par les personnes publiques ou privées listées par l’article L.124-3 du même code. La procédure d’accès aux informations environnementales est celle mentionnée plus avant et prévue par le CRPA. 



En pratique, on peut schématiser la procédure comme suit : 


PHASE 1 : Amiable

Une demande préalable obligatoire auprès de l’administration[3] qui dispose d’un mois pour répondre et à défaut, la demande est réputée rejetée (art. R. 311-12 et R. 311-13 CRPA). La demande se fait par LRAR en précisant notamment les documents et/ou informations que l’on souhaite se voir transmettre. Également, les modalités de cette communication (copie papier, copie numérisée,…). 



PHASE 2  : avis CADA

En cas de refus, un délai de 2 mois (art. R.343-1 CRPA[4]) s’ouvre pour saisir la Commission d’Accès aux Documents Administratif (ci-après CADA). Cette procédure est également un préalable obligatoire à la saisine du tribunal administratif (art. L. 342-1 CRPA). 

👉 La CADA dispose à compter de sa saisine d’un délai d’un mois pour rendre un avis sur le caractère communicable ou non des éléments sollicités (art. R.343-3 CRPA).


Toutefois, les délais ne sont opposables au demandeur que si la décision de refus de communication[5] soit :

  • a été notifiée avec indication des voies et délais de recours, y compris l’obligation de saisir préalablement la Commission (avis n° 20080701 du 6 mars 2008) ;
  • ou bien, dans le cas d’un refus tacite, à la condition que la demande de communication adressée à l’administration ait donné lieu à un accusé de réception indiquant le délai de rejet implicite ainsi que les délais et voies de recours.


PHASE 3 : Contentieuse

En cas de refus, un délai de 2 mois (art. R.343-1 CRPA[4]) s’ouvre pour saisir la Commission d’Accès aux Documents Administratif (ci-après CADA). Cette procédure est également un préalable obligatoire à la saisine du tribunal administratif (art. L. 342-1 CRPA). 

En l’absence d’avis passé deux mois de la saisine, d’avis défavorable ou d’avis favorable, mais que l’administration persiste dans son refus de communiquer, c’est la saisine du tribunal administratif, dans le ressort géographique du siège de l’autorité concernée, qui doit être envisagée.

Par exception, et en cas d’urgence, le juge administratif peut être saisi en référé afin d’ordonner à l’administration concernée la communication de documents administratifs, sans saisine préalable de cette autorité administrative ou de la CADA. 

La procédure dite du "référé mesure utile" peut ainsi être envisagée (art. L.521-3 du CJA). Plusieurs conditions doivent être réunies : 1/ démontrer l’urgence  ; 2/ Le caractère utile de la procédure ; 3/ La mesure ordonnée par le juge administratif ne doit pas faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative[6].

👉 Le délai pour ce faire est de 4 mois à compter de la saisine de la CADA[6]

1. Notion précisée à l’article L. 300-2 CRPA.

2. En ce sens : CE, 27 septembre 2022, ASSOCIATION MORMAL FORET AGIR, req. n° 451627 consid. 5 et 6.

3. Personnes publiques ou privées précisées par l’article L. 300-2 CRPA

4. Cette article précise également les modalités de saisine de la CADA. Le site internet de la CADA propose galement un formulaire de saisine ici.

5. Quoi qu’il arrive, il est recommandé de suivre les délais 1/ par sécurité 2/ pour éviter des débats chronophages ultérieur sur la recevabilité de la demande contentieuse.

6. Il faut faire preuve d’un effort intellectuel peu habituel pour comprendre la subtilité procédurale à l’œuvre ici. En effet, l’idée à retenir, lors de la saisine du Tribunal Administratif, est que l’on engage un procès contre une seconde décision de l’administration portant refus de communication. Cette "2nd décision de refus" prend naissance à compter du silence gardé par l’administration mise en cause passé un délai de 2 mois à compter de la saisine de la CADA (art. R343-5 CRPA). Reste donc 2 mois à compter de cette décision pour saisir le Tribunal Administratif compétent (V. en ce sens w: Conseil d’État, 10ème chambre, 19/06/2020, 435004, Inédit au recueil Lebon). 

7. Lorsque la communication immédiate est nécessaire à la sauvegarde des droits de la personne concernée (Conseil d'Etat, 9 / 10 SSR, du 29 avril 2002, 239466, mentionné aux tables du recueil Lebon). Le Juge Administratif peut accueillir la condition d’urgence lorsque la demande de communication est nécessaire pour introduire un recours contentieux lui-même enfermé dans un délai contentieux (ex : recours en excès de pouvoir 2 mois).

8. Y compris celle refusant la communication de document.



B/ Illustration avec l’ONF et l’affaire dite «Mormal» 

Il faut avant tout préciser que l’ONF a le statut d’un « établissement public national à caractère industriel et commercial[9] » dit "EPIC".  A ce titre, et en tant qu’établissement public, l’ONF est soumis à l’obligation de communiquer les informations environnementales qu’elle détient [10].

Ainsi, il a été dans l’obligation de communiquer : « l'ensemble des documents et correspondances, courriers et courriels se rapportant aux mesures prévues, dans le cadre du complexe touristique dit " Center Parcs " à Roybon (Isère), pour compenser la destruction de zones humides, échangés notamment avec la société[11]". Pierre et Vacances " par l'ONF, en qualité de prestataire de service de cette société. »  avec la réserve : « que soient occultées les données couvertes par le secret en matière industrielle et commerciale et celles pouvant porter atteinte à la vie privée de toute personne physique impliquée dans ce projet[12] » .


D’apparence simple, le cas de l’ONF révèle de plusieurs législations nationales. Celles du CRPA et du Code de l’environnement (déjà évoquées) mais également celle prévue par le code forestier.


Récemment, le Conseil d’État a porté son analyse sur ces trois législations dans une décision "Association Mormal Forêt agir"[13].


L’association requérante estime que l’ONF coupe et vend plus de bois que  prévu par le document d’aménagement. Elle souhaite donc documenter ses actions et demande à l’ONF communication de plusieurs passages du document d’aménagement de la forêt de Mormal qui n’ont pas été publiés.


👉 Après un premier refus de l’ONF, la CADA est saisie et rend un avis favorable. Mais l’ONF maintient son refus de communiquer.


Le tribunal administratif de Paris sera donc saisi et va juger, au visa de notamment de l’article D.212-6 du code forestier, que : « (…) seule la partie technique du plan d’aménagement de la forêt de Mormal peut être consultée sur le site internet de l’administration. » que : « Au regard des dispositions combinées de l’article  L. 124-4 du code de l’environnement et de l’article D. 212-6 du code forestier, qui constituent des dispositions spéciales dérogeant à celles de l’article L. 311-1 du code des relations entre le public et l’administration, la divulgation de ces éléments à des tiers doit être regardée comme de nature à porter atteinte au secret des affaires au sens de l’article L. 311-6 précité qui prévoit des exceptions au droit de communication. » 


Solution ici éminemment restrictive du droit d’accès aux informations environnementales.


En outre, la juridiction parisienne, rejette la demande d’avoir à communiquer les informations sur les volumes de bois prélevés et les surfaces exploités pour la seule forêt de Mormal, la requérante n'apportant pas de preuve que l’ONF détiendrait de telles informations. Enfin, le Tribunal juge les documents, en lien avec la coupe rase sur la parcelle 901, communicables.




👉Insatisfait de cette décision, l’association "Mormal Forêt Agir" va se pourvoir (comme le veut la procédure) directement devant le Conseil d’État.


Le Conseil d’État va alors casser en partie la décision du Tribunal notamment sur un défaut de motivation : il ne suffit pas de dire que la divulgation des informations porte atteinte au secret des affaires sans lien avec l’environnement uniquement au motif que l’ONF l’a dit. Le juge de 1ère instance aurait dû exercer son contrôle, hors contradictoire, en se faisant communiquer les éléments pour apprécier lui-même leur teneur.



Le Conseil d’État, dans un considérant de principe juge : 


« (…) que si le code forestier prévoit que les documents d’aménagement des forêts sont, pour leur partie technique, communicables à toute personne qui en fait la demande, les obligations de communication pesant sur les personnes publiques pour les bois et forêts relevant du régime forestier ne s’arrêtent pas là. ». 


En effet : « toute autorité publique relevant des dispositions du code forestier, en particulier tout établissement public, est tenue de communiquer les informations environnementales qu'elle détient, reçoit ou établit à toute personne qui lui en adresse la demande. » 


Et le Conseil d’État ajoutant une limite, classique en la matière : « Toutefois, après avoir apprécié l'intérêt d'une communication, elle peut rejeter une demande d'information environnementale lorsque la consultation ou la communication de cette information porte atteinte au secret des affaires. »


Le cadre juridique posé, le Conseil passe à l’application pratique aux informations non publiées par l’ONF et concernant la forêt de Mormal. Il juge ainsi : « que tant les analyses préalables figurant dans le document d’aménagement d’une forêt, qui se rapportent à l’état des éléments de l’environnement et aux activités susceptibles de les affecter, que la partie économique de ce document, qui a trait à ces activités et aux hypothèses économiques utilisées dans ce cadre, constituent des informations relatives à l’environnement. »


Mais : «Les informations concernant la recette pouvant être tirée de la vente des volumes de bois susceptibles d'être mis sur le marché et les prix attendus (page 130) et celles concernant les recettes et les dépenses attendues au titre de la gestion de la forêt de Mormal (pages 131 et 132) sont de nature à influer tant sur les conditions de la concurrence entre les opérateurs de vente de bois dont fait partie l'ONF que sur les conditions dans lesquelles l'office négocie la vente de bois avec des acheteurs. Elles se rapportent ainsi à la stratégie commerciale de l'ONF. Par suite, leur communication doit être regardée comme de nature à porter atteinte au secret des affaires au sens de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration.»


En revanche : « (…) les informations concernant la prévision détaillée des volumes de bois à récolter (page 129) et celles concernant les indicateurs nationaux de suivi (page 133) ne sauraient être regardées comme se rapportant à la stratégie commerciale de l'ONF. Leur communication n'est donc pas de nature à porter atteinte au secret des affaires au sens de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, l'association requérante est fondée à demander l'annulation du refus de l'ONF de lui communiquer les pages 129 et 133 du document d'aménagement. » 


Par ailleurs : « (…) l'annexe n° 6 du document d'aménagement de la forêt de Mormal, qui n'est pas publiée, est constituée par la liste d'émargement des participants à une réunion d'information et de concertation destinée aux élus locaux le 1er juillet 2013, comportant leur nom, leur prénom, leur qualité et leur signature. Les participants à cette réunion sont des représentants des collectivités territoriales, des services de l'Etat et de l'ONF. Ces informations ne peuvent être regardées comme de nature à porter atteinte au secret des affaires au sens de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, et ne relèvent d'aucune des exceptions mentionnées à l'article L. 124-4 du code de l'environnement. Il suit de là que l'association requérante est fondée à demander l'annulation du refus de l'ONF de lui communiquer les annexes non publiées du document d'aménagement, en tant qu'il a refusé la communication de l'annexe n° 6 ».



...En résumé


Toutes les informations environnementales détenues par l’ONF, quand bien même le code forestier n’en prévoit pas la communication, sont communicables sous réserve de ne pas porter atteinte aux limites prévues par le CRPA, notamment le secret des affaires. 


Et cela concerne le document d’aménagement forestier[14] conformément auquel l’ONF doit gérer les bois et forêts relevant du régime forestier[15]. Également, cette obligation de communiquer parait concerner un autre document plus "chirurgical", à l’échelle de la forêt : "Le sommier de la forêt". Ce dernier contient l'historique des actions effectuées dans une forêt publique ou encore des informations techniques (volume de bois récoltés ; les essences prélevées ; les plantations effectuées ; les différents ; les insectes ravageurs ayant touché la forêt ;…)[16]. Enfin, dans le cadre de ses missions, notamment avec des particuliers ou entreprises privées, l’ONF peut traiter des données et autres informations environnementales dont le support varie (contrat, courriel, lettre, rapport,…) et qui sont, sous les réserves évoquées supra parfaitement communicables[17]


👉 On notera, pour terminer, la nouvelle[18]  doctrine de la CADA (cf. n° 20236891 du 14 décembre 2023) tirant conséquence de la décision Mormal mais concernant cette fois, les forêts privées. 


Rapidement, lorsque les forêts privées dépassent une certaine superficie, elles peuvent ou doivent faire l’objet d’un document d’aménagement nommé "Plan Simple de Gestion" (PSG) qui doit être agréé par le Centre Régional de la Propriété Forestière[19] (CRPF), établissement public de l’État à caractère administratif[20].


La CADA acte ainsi du caractère communicable du PSG dans les mêmes limites que celles précisées par le Conseil d’État, évoquées plus avant, pour les documents d’aménagement détenus par l’ONF.




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