Séminaire FNE IDF "Pour la survie des forêts franciliennes"


Actes des rencontres pour la survie des forêts franciliennes, organisées par FNE Île-de-France


Le 8 juin 2023, France Nature Environnement Île-de-France organisait un séminaire "Pour la survie des forêts franciliennes : Anticiper et Agir !" à l'Académie du Climat de Paris. Le groupe forêt était présent et une représentante invitée à débattre au tour de table : Gérer les conflits d'usage autour des forêts. L'enjeu de cette rencontre vise à l’élaboration d’un Manifeste commun : anticiper les effets des changements climatiques et agir pour préserver la fonctionnalité des écosystèmes en conciliant les usages en faveur d’une forêt vivante.


Nous remercions FNE IDF pour avoir mis les forêts franciliennes au centre du débat. Ces rencontres ont le mérite d'exister : elles permettent aux associations de se faire entendre et de faire évoluer les décisions dans la gestion des forêts.



Les forêts d'Île-de-France couvrent 21 % de la surface de la région. Comme le montre, le dernier inventaire de l’Institut National de l’Information Géographique et Forestière, en 10 ans les forêts connaissent, de façon inquiétante, une diminution de productivité, des dépérissements massifs et un risque d'incendie accru. Le changement climatique fragilise leur santé sous l’effet de trois facteurs : une baisse de 10% de la croissance des arbres, une augmentation de 54% de la mortalité de certaines espèces d’arbres et une hausse de 20% des prélèvements de bois. Cette crise déstabilise et interroge les pratiques de gestion forestière. Les enjeux sont considérables et l’orchestration des mesures à prendre s’avère extrêmement délicate en raison de la diversité des attentes de la société. Lien du séminaire FNE : ICI



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Retour sur la troisième table ronde : Gérer les conflits d’usages autour des forêts

Animé par Pierre Gilbert avec la participation de :

Dominique Defrance, vice-président de Fransylva (syndicat des propriétaires forestiers) Île-de-France


Dominique Bonte, SNUPFEN (Syndicat National Unifié des Personnels des Forêts et de l’Espace Naturel) Solidaires 


François Heutte, directeur d’Alliance Forêts Bois Normandie/Île-de-France


Danielle Albert, administratrice de Essonne Nature Environnement 


Sophie Durin, présidente des Amis du bois de Verrières, membre du collectif de l’Appel des forêts d’Île-de-France 


François Gross, délégué régional Île-de-France de la LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux)


1. Première question : Quels sont les usages les plus fréquents et les plus dommageables en forêt ? 


Dominique Defrance, Fransylva, se présente comme un petit propriétaire forestier. La forêt a un rôle multifonctionnel, et apporte une multitude de solutions. Les problèmes proviennent de leur mise en œuvre et de difficultés de communication. Il faut donc savoir s’écouter. Il est important de savoir ce que pensent les acteurs avec lesquels nous interagissons, que leurs idées soient vraies, fausses, ou déformées. Les usages les plus fréquents et les plus dommageables de nos forêts sont notamment ceux qui les défigurent, à commencer par les dépôts sauvages provenant tant des entreprises malhonnêtes que de citoyen.nes. Fransylva a mis en place l’action “Vigimitage” avec la SAFER (Vigimitage) dans laquelle les citoyen.nes peuvent signaler les infractions. D’autre part, les coupes mal faites par des exploitants forestiers peu scrupuleux. Souvent, il s’agit de petits propriétaires abusés par ces entreprises d’exploitation, que Dominique Defrance qualifie “d’abus de faiblesse” dans certains cas.


Danielle Albert, membre d’Essonne Nature Environnement et propriétaire forestière, est autrice d’une fiche sur les conflits d’usages. La question de l’incivisme de l’incivisme lui semble primordiale. En gérant une petite forêt de 10 hectares, elle a découvert que des personnes venaient y faire des sports de nature (VTT, quad…) sans savoir qu’elles se trouvaient dans une forêt privée. Elles ne connaissaient pas les règles essentielles de la circulation en forêt et se déplaçaient hors des chemins tracés, sans anticiper les dégâts occasionnés par de telles pratiques. Danielle Albert a donc réalisé des fiches forestières pour amorcer un travail global de pédagogie sur les équilibres fragiles que constituent les écosystèmes. Elle souligne également la multiplication des départs de feu de forêts depuis qu’elle sont surfréquentées : une charte du promeneur mériterait ainsi d’être élaborée. 


Sophie Durin, présidente des Amis du bois de Verrières rappelle l’importance des services non marchands et immatériels qu’offrent les forêts. Les revenus de la vente représenteraient 20% seulement de leur valeur. Les 80% des services non-marchands sont donc estimés à une valeur cinq fois plus importante que la production. Mais le ministère de la santé ne contribue pas financièrement à la gestion des forêts, malgré leur rôle social et sanitaire décisif. L'augmentation des coupes est la cause principale de dégradation des forêts franciliennes : 80% des arbres ont aujourd’hui moins de 100 ans. Les prélèvements devraient être réduits. Enfin, le suivi des travaux forestiers est insuffisant. La mécanisation des travaux endommage les sols et la biodiversité de façon irréversible. 


François Heutte, est directeur de l’Alliance Forêts Bois Normandie - Île-de-France. Il s’agit d'une coopérative qui intervient pour un accompagnement des propriétaires privés, sur la partie exploitation-vente. Il lui semble important de pouvoir parler d’exploitation directement. Il se montre préoccupé, à cet égard, par le réchauffement climatique. La hausse du taux de mortalité des peuplements favorise le développement de pathogènes et d’insectes : des réponses doivent être trouvées. D’autre part, François Heutte témoigne de la multiplication des réactions du grand public adressées à ses collaborateurs gestionnaires des forêts. Il incite à aller au-delà des réactions les plus spontanées et à un construire un réel dialogue. 


François Gross, délégué régional LPO Île-de-France, se montre bien conscient de la multifonctionnalité des forêts. Or, il est frappé par la méconnaissance des usagers des forêts qui assimilent ces milieux à un parc ou à un terrain de jeu. Ils laissent leurs chiens y vagabonder sans s’inquiéter de mettre en danger les espèces. Les politiques manquent également de connaissances à ce sujet. Les forêts péri-urbaines sont largement surfréquentées, ce qui accélère dangereusement le tassement des sols. 


Dominique Bonte, technicien forestier de l’ONF, intervient en tant que membre du SNUPFEN, syndicat né avec l’ONF). Les forêts franciliennes présentent des aménités et une multifonctionnalité très intéressantes. Pour autant, l’ordre des priorités dans la région ne favorise pas toujours la préservation de ces milieux : pour faire passer une 2x2 voies, des hectares de forêts sont sacrifiés au lieu de réduire la vitesse autoroutière. 




2. Deuxième question : Quelles sont les facteurs qui accentuent les pressions liées aux usages et mettent en danger la bonne santé des peuplements forestiers à long terme ? Comment anticiper les zones de controverse ? Y a-t-il des moments de dialogue ? 


François Heutte, directeur de l’Alliance Forêts Bois Normandie - Île-de-France préconise une meilleure information des structures de la profession vis-à-vis des risques qui pèsent sur la forêt. 


Dominique Defrance de Fransylva nuance ce propos : communiquer des informations ne revient pas à euphémiser certaines informations. Il s’agit d’expliciter clairement en quoi consistent les coupes rases, en prenant le risque que cela puisse heurter. Dominique Defrance prend pour exemple la forêt de Montmorency, peuplée à 70% de châtaigniers. Des panneaux d’information signalent les vulnérabilités auxquelles est soumise cette essence, et la nécessité de couper des châtaigniers malades. La communication semble plus efficace lorsque les panneaux proviennent d’une initiative associative. La richesse d’une forêt découle de la diversité des milieux qui la composent (ouverts, fermés, humides, secs…)


Danielle Albert, membre d’Essonne Nature Environnement et propriétaire forestière, signale que certaines exploitations ne respectent pas les forêts. L’orniérage n’est pas entretenu après avoir été fait. Les réparations s’effectuent certes parfois après un certain temps de latence. Cependant, les acteurs de la forêt sont invités à faire preuve de vigilance et à signaler les éventuels problèmes à régler localement. Lorsque des propriétaires organisent des promenades forestières, prendre le temps de se déplacer permet de saisir des enjeux qui n’apparaissent pas dans les conférences. La mentalité de “retour au terrain” infuse progressivement et doit continuer d’orienter le débat. 


François Gross, délégué régional LPO Île-de-France, considère le travail d’écoute et de dialogue permettent d’anticiper les zones de controverse, à condition de se saisir collectivement des éléments de la science. Les fosses pédologiques permettent ainsi d’affiner la compréhension des écosystèmes. Ces exemples doivent être démultipliés afin de trouver des solutions. 


Sophie Durin est signataire de l’Appel des forêts, qui réunit 200 associations dans 7 départements et plus de 50 massifs forestiers. Le collectif a exprimé plusieurs demandes, dont certaines ont été évoquées lors de cette rencontre. L’Appel des forêts plaide pour la fin des grignotages et des amputations qui assèchent durablement les milieux, pour l’arrêt des coupes rases qui portent atteinte au sol et aux paysages, et pour l’abandon des coupes de bois destinées à alimenter les chaufferies biomasse. Le collectif revendique la réelle prise en compte des associations dans le dialogue sur la gestion forestière, la liberté d’accès des infos environnementales comme le précisent le Code forestier, les institutions françaises et l’Union Européenne. L’Appel des forêts vise la création d’un statut protecteur adapté aux forêts d'Île-de-France qui reconnaisse leur qualité de patrimoine français, de réservoirs de biodiversité et de poumon vert autour de Paris. Or, toutes les forêts franciliennes peuvent être considérées comme urbaines, au regard de la densité urbaine et de l’artificialisation des sols qui les entourent. La France accuse de fortes inégalités en termes de surface forestière par habitant, qui revient à 225 m2 par francilien contre 3100 en moyenne nationale. Avec 14 fois moins de surface forestière par habitant, le taux de mortalité et la fréquence de certaines maladies sont particulièrement élevés en Île-de-France. Les forêts ne devraient plus être considérées comme des stocks de bois mais comme des écosystèmes riches et dont le potentiel génétique pourrait encore être valorisé. 



3. Troisième question : Comment est-il possible de mieux gérer les conflits et de mieux encadrer les usages ?


Sophie Durin, rappelle que la préservation n'est pas une mise sous cloche de la forêt. Il s’agit de créer des corridors pour relier entre elles les forêts et de favoriser des réseaux de biodiversité, sans financer la forêt par la coupe de bois. Une telle logique libérale implique en effet que l’ONF vende son patrimoine et son capital pour couvrir ses frais, qui pense en termes de capitalisation et de décapitalisation des milieux. 


François Heutte considère que les coupes rases apparaissent parfois nécessaires : toutes les forêts sont multifonctionnelles. Il estime que le matériau bois est noble et renouvelable : il lui apparaît exagéré de parler de surexploitation des forêts franciliennes. 


Danielle Albert prolonge son propos en rappelant que lors des tempêtes hivernales, les arbres tombent inévitablement. Laisser ce bois mort sur place suscite certes un espoir de régénération, mais il convient de le nuancer. Sans aucune sélection, la densité locale d’arbres risque en contexte de stress hydrique d’accentuer la compétition entre les arbres pour l’eau. Pour limiter la concurrence, Danielle Albert préconise d’enlever certains individus parcimonieusement pour laisser plus de place aux autres. L’étagement des forêts, composées d’essences différentes, constituerait une bonne solution pour l’avenir. 


Dominique Defrance souligne une nuance : “la forêt paie la forêt”, mais seulement en partie. Changer de paradigme en interdisant toute exploitation forestière qui crée des revenus lui semble trop extrême néanmoins. Ces espaces génèrent des dépenses dont certains doivent assumer les frais. Dominique Defrance envisage la création d’un budget sanctuarisé sous forme de loi, qui soit dédié au financement de la préservation des forêts. Un tel dispositif permettrait d’atteindre un équilibre pour les coupes. 



Temps d’échange


1. Un intervenant souhaiterait que l’Office français de la biodiversité sanctionne les chasseurs dont la pratique est illégale. La répartition formelle des fonctions forestières permettrait à cet égard d’organiser la circulation. Une cartographie où se superposent les différents statuts des forêts franciliennes contribuerait à harmoniser certaines pratiques. Les institutions franciliennes pourraient travailler sur un tel projet en complément de l’IGN, afin d’expliquer et d’identifier les voies de promenades autorisées notamment. 


Réponse : Beaucoup de bois sont catégorisés comme “espaces naturels sensibles”, qui s’accompagnent d’aides au propriétaire si la forêt est dégradée par des usages intempestifs. Les bûcherons peuvent sécuriser les chemins publics et aider à imprimer des documents comprenant la cartographie des espaces de libre-circulation ainsi que divers renseignements écologiques. Des espaces de discussion entre les représentants des différents partis permettraient d’élaborer des plans de coupes rases plus vertueux et consensuels. La communication avec les usagers est parfois compromise cependant en raison d’un certain climat de défiance. 


2. Jane Buisson, de FNE Île-de-France, rappelle que le SDRIF-E ne prévoit pas la fin de la bétonisation des espaces forestiers. Au-delà des problèmes de gestion, la perte croissante de surface constitue un réel enjeu. Des associations du Val-de-Marne ayant participé à la concertation sur les SDRIF ont ainsi mis l’accent sur la nécessité de préserver les corridors écologiques entre les différents massifs et des les restaurer s’ils ont déjà disparu, en rappelant la dilution des trames vertes et bleus, et la fonte inquiétante des effectifs de l’ONF. 


3. Un intervenant signale que le préfet des Yvelines a délégué l’autorisation de signer les demandes préalables de coupe de bois. Le respect des volumes et des essences est largement compromis. Les propriétaires de forêts privées devraient être conseillés par des gestionnaires de forêts.


4. Une signataire de l’Appel des forêts rappelle que Boulogne et Vincennes ne sont pas gérées comme les autres forêts françaises. Les coupes s’accélèrent en vue de la régénération forestière : on compte 50 hectares de coupes entre novembre 2022 et mars 2023 dans une forêt séculaire de plus de 450 hectares. Au-delà de l’interventionnisme drastique, l’événementiel pèse sur le bien-être des écosystèmes dans les forêts. À Vincennes, la mairie de Paris a ainsi voté en faveur d’une augmentation de concessions : le festival We Love Green a été organisé cette année au mépris de la faune sauvage.


5. Le Vice-Président du Conseil départemental de l’Essonne signale que ce département se trouve particulièrement confronté aux problèmes d’usage dans les treize forêts qui le couvrent. La protection de la biodiversité est conçue comme une priorité, mettant au second plan la gestion forestière. “On ne défend bien que ce qu’on connaît et ce qu’on a appris à aimer” : il plaide pour une “écologie de la connaissance, amoureuse, et ouverte aux concitoyens”.


6. Pierre-Emmanuel Savatte rappelle que le Code forestier vise un équilibre sylvo-cynégétique. Il recommande aux intervenants de favoriser la discussion et la compréhension. Il souligne les problèmes très concrets rencontrés par les acteurs sur le terrain. L’application efficace du Code forestier rencontre certaines défaillances, notamment lorsque des panneaux d’information disparaissent trois jours après avoir été posés.


7. Un intervenant rappelle qu’une déclaration préalable de coupe et d’abattage d’arbres adressée aux élus de la communes est nécessaire dans les espaces boisés. Les élus étant les seuls à pouvoir choisir, certains services en pénurie de moyens leur ont renvoyé la responsabilité de décider, bien qu’ils ne soient pas experts. Les problèmes viennent des initiatives personnelles effectuées par méconnaissance des textes. L'accompagnement par un gestionnaire permet de se prémunir de certains écueils et de favoriser une gestion vertueuse et équilibrée.


8. Un intervenant souligne enfin que deux visions antagonistes de la forêt semblent se faire face depuis le début de la rencontre. Une vision “statique” préconiserait la recherche d’un équilibre écosystémique par la sanctuarisation des milieux forestiers ; l’intervention humaine devrait y être limitée autant que possible. La vision “dynamique” intègre dans sa perspective le choc climatique qui rend nécessaire l’adaptation. Il s’agirait dès lors d’accompagner une nature dépassée par le réchauffement climatique en intervenant avec parcimonie. 



Sophie Durin rappelle pour finir qu’un vieil arbre ne coûte rien, tandis qu’une plantation d’arbre doit être financée par le contribuable.

  • Lien du séminaire :  Lien
  • Luc Abbadie, professeur émérite en écologie - Sorbonne Université :Lien
  • Panorama du paysage forestier francilien, Pierre-Emmanuel Savatte, chef du service régional de la forêt et du bois, de la biomasse et des territoires de la DRIAAF: Lien
  • Coup de projecteur sur la forêt de Chantilly : quels enseignements tirer de l’étude d’une forêt menacée de dépérissement ? Thierry Fernez, responsable adjoint de la délégation Île-de-France du Conservatoire botanique national du bassin parisien : Lien
  • Préconisations pour une gestion forestière adaptée au changement climatique, Benoit Méheux, ingénieur forestier chez Pro Silva : Lien
  • Coup de projecteur sur une forêt emblématique en Île-de-France : la forêt de Fontainebleau, à la croisée des enjeux et des usages, Christophe Parisot, directeur du Conservatoire d’espaces naturels d’Île-de-France : Lien
  • Questions sur les usages du bois : bois d’œuvre, bois d’industrie, bois-énergie avec : 
  • Scarlett Boiardi, responsable du pôle forêt et bois-énergie et déléguée générale adjointe de Fibois : Lien
  • Claire Florette, responsable du pôle transition énergétique de l’ADEME : Lien
  • Charles Kimmerlin, ingénieur qualité de l’air à Airparif : Lien